La Fourmilière : résilience et adaptation à la crise sanitaire en cours

Alors que la pandémie du covid-19 continue de se propager et paralyse une partie de l’économie, la Fourmilière s’adapte en conséquence, et montre que les supermarchés coopératifs savent gérer l’urgence et sont résilients, tout en incarnant une alternative aux canaux de distribution traditionnels. Anouck, l’une des permanentes de la Fourmilière, nous livre son témoignage de cette période inédite. Anouck est coopératrice de la Fourmilière depuis un an et demi. Elle a commencé en tant que bénévole, a ensuite été en alternance dans le cadre de sa formation d’un an, et est en CDI depuis février 2020. Elle travaille notamment sur les questions liées au parcours coopérateur, à la gestion de créneaux, et sur la gamme fruits et légumes.

Comment la Fourmilière s’est-elle organisée depuis le début de l’épidémie de covid-19 ?

Dès les annonces gouvernementales, on a fait des réunions, fermé une journée pour réfléchir ensemble, avec les autres permanents et les responsables légaux, à comment on pouvait continuer à ouvrir, comme on est un magasin alimentaire. La difficulté était que pour un modèle comme le nôtre, qui repose beaucoup sur du bénévolat, essentiellement même – on a seulement deux salariées – c’était compliqué de trouver une solution sans bénévolat. On a donc opté pour un service réduit avec des plages horaires et une gamme de produits réduites. On a aussi consulté le conseil coopératif pour avoir leur avis et d’autres supermarchés coopératifs pour savoir comment ils s’organisaient. On a fait un gros travail de recherche et de gestion de crise sur les premiers jours, qui nous a conduits à la solution actuelle : on réouvre, deux semaines après le début du confinement des créneaux, en effectif réduit, On a contacté le numéro vert mis en place par le gouvernement, qui on a obtenu l’autorisation de continuer à faire appel à des bénévoles grâce à une dérogation spéciale. On a aussi mis en place des mesures d’hygiène, grâce la création d’une commission santé, composée de Fourmis issues du corps médical, et qui s’occupent de trouver ce qui a trait à l’hygiène et à la réglementation, de nous conseiller sur ce qu’on doit appliquer etc… La solidarité s’est mise en place  pour celles qui ne peuvent pas se déplacer pour faire leurs courses.

Des caisses et permanent.e.s sous haute protection !

Comment fonctionne cette solidarité ?

Ce sont les Fourmis qui se manifestent. On a lancé un appel dans le dernier Fourmiflash.Trois Fourmis du Nid – le bureau des membres – joignables par téléphone ou par mail, organisent la solidarité entre des Fourmis volontaires et celles qui ne peuvent pas se déplacer. Par ailleurs, nous constituons des paniers de nos produits à destination du CHU voisin de Bellevue en soutien au personnel soignant.

Quelles sont les forces de l’organisation actuelle ?

Il y a cette solidarité qui s’est mise en place de manière assez simple avec de nombreuses Fourmis qui nous ont demandé à ce que cela puisse se faire. A la Fourmilière, on se sent appartenir à un collectif et au réseau des coopérateur.ices. La force de notre projet c’est aussi le fait qu’on soit en circuit fermé : seuls les coopérateurs peuvent venir faire leurs courses, on sait qu’ils connaissent le magasin et se connaissent entre eux, qu’ils sont bienveillants, qu’ils font attention à ne pas dévaliser les stocks comme ça a pu être le cas dans la grande distribution. Sur nos produits, on a aussi très peu de ruptures : alors que beaucoup de supermarchés sont en manque de farine, on s’en est fait livrer très  récemment. La mise en place de circuits courts fait qu’on n’est pas trop impactés sur les produits frais, sur la livraisons des producteurs locaux ; ce sont même eux qui demandent à ce qu’on les soutienne ! On est un peu plus impactés sur certains grossistes qui ont des produits en rupture, mais comme on a fait le choix d’avoir une gamme réduite, on accepte d’avoir moins de stock.

Rappel des règles et gestes barrière

Quand tu parles de gamme réduite, est-ce que certains rayons ne sont plus disponibles à la vente, ou y-a-t-il moins de choix dans chaque rayon ?

Il y a plutôt moins de choix dans chaque rayon, par exemple, pour les fruits et légumes, on a gardé deux sources d’approvisionnement sur les quatre habituelles. Pour la viande c’est la même chose, on a gardé un ou deux producteurs à la fois par semaine, qu’on fait tourner d’une semaine à l’autre. Plus généralement on a gardé les produits qui se vendaient le plus et qui nous semblaient indispensables.

Comment les producteurs et les fournisseurs vivent-ils la crise ? Connaissent-ils des difficultés ?

Oui, on a notamment une brasserie qui nous a contacté et nous a dit “on a toujours besoin de vous”. Avec la fermeture des marchés, on va avoir plus de demandes, notamment sur les produits frais. C’est déjà le cas pour l’un de nos fournisseurs de produits frais bio et locaux, La Ferme Au Quartier, qui reçoit de nombreuses sollicitations de producteur.ices suite à la fermeture des marchés. 

La Fourmilière a-t-elle été sollicitée par des producteurs non référencés chez elle ?

Une productrice qui travaille avec nous est venue livrer ses produits avec des produits d’une autre productrice qu’on ne connaissait pas. Parfois ce sont des produits qu’on a déjà en magasin donc c’est plus compliqué de répondre favorablement, mais ça arrive.

Quelles sont les différences d’organisation de la Fourmilière avec la grande distribution classique ?

Je ne connais pas trop le fonctionnement de la grande distribution, mais je sais que beaucoup de choses passent par des centrales d’achat, et qu’ils privilégient les filières longues. L’approvisionnement n’est pas aussi “libre” qu’à La Fourmilière et est très loin d’être aussi local. Pour un supermarché classique, la farine peut venir d’ailleurs en France, alors que pour nous le producteur fait trente minutes de voiture pour nous l’amener ! Le circuit fermé permet également d’avoir moins de produits, moins de clients et donc de ne pas avoir un afflux trop important de personnes. On n’est pas encore câblés pour vendre à plus d’une centaine de personnes par jour.

Et sur les mesures d’hygiène et de sécurité pour les salarié.e.s et les coopérateur.ices, comment se positionne la Fourmilière par rapport à la concurrence ?

Il n’y avait aucune obligation de garder la Fourmilière ouverte, c’est parti d’une envie de “faire sa part”. En tant que permanent.es, on a décidé de venir, sachant que si on ne se sent pas bien, ou pas en sécurité, on peut du jour au lendemain s’arrêter. Au quotidien, on est protégé.e.s : chacun.e a son ordinateur, ses stylos, ses masques. Des coopérateur.ices nous ont fait des masques en tissu pour qu’on puisse les utiliser si on arrive à court de masques. Un film plastique nous entoure en caisse, ce sont les clients qui scannent eux-mêmes leurs produits. 

Pour les clients, tout le monde se lave les mains à son entrée dans le magasin, on fait attention à respecter les gestes barrière et à tout désinfecter le matin et le soir. Les clients se mettent à deux mètres les uns des autres dans la file d’attente pour accéder au supermarché, dans lequel on limite à 6 le nombre de client.es présent.es simultanément. Ils se parlent entre eux, il y a une bonne ambiance, je pense que toutes ces mesures rassurent beaucoup.

En attendant son tout de rentrer au supermarché, c’est l’occasion de discuter entre Fourmis !

Comment les circuits courts et les supermarchés coopératifs pourraient “profiter” de cette crise ?

Je pense cette crise montre vraiment que le modèle des hypermarchés et supermarchés est obsolète. On le voit bien : l’un des revirements récents des grandes surfaces est la décision d’acheter tous leurs fruits et légumes en origine France. C’est une révolution pour elles ! Si on ne fonctionne que sur des niveaux nationaux et internationaux, dans des moments comme celui-ci, on n’est pas du tout résilient. 

L’idée c’est plutôt de trouver un système à échelle humaine, qui se cale sur ce qui existe sur notre territoire. Les circuits courts ont vraiment de beaux jours devant eux ! 

Notre modèle montre aussi qu’on peut créer des lieux de solidarité, mettre en place des vrais services d’entraide, créer un sentiment d’appartenance à un projet où la propriété est collective, partagée. Cela nous conforte encore plus pour aller dans cette direction de créer d’autres services autour du supermarché. Le fait qu’on arrive à tenir le coup montre que notre modèle tient la route, et qu’on peut s’organiser à notre échelle en temps de crise. 

Le mot de la fin ?

Du côté des permanent.es, on est ravi.es de voir que les coopérateur.ices se déplacent, sont contents que la coopérative soit restée ouverte et nous envoient des messages de soutien. Ça a du sens de construire un lieu comme celui-ci. 

Un message adressé à toutes et tous : c’est le moment de voir l’intérêt du format du supermarché coopératif, de participer aux futures prises de décisions, aux groupes de travail… Bref, dans ces temps de repli obligatoire, c’est encore l’occasion de se réapproprier notre consommation et de prouver l’intérêt de la propriété collective !